Le bilan des dispositifs de soutien aux professionnels témoigne de la violence de la crise

capture-decran-2016-12-02-a-16-10-06Publié le 03.06.2020 par Perrine Debacker et Clémence Nayrac
Article Hospimedia

Depuis le début de la crise sanitaire, les dispositifs de soutien psychologique ont été témoins d’une aggravation de la souffrance des professionnels de santé. Ils dressent le bilan de deux mois d’épidémie. Entre sentiment d’insécurité, surcharge de travail et lacune des organisations, les retours témoignent de la violence de cette crise.

 

Des problèmes d’organisation du travail à la crainte d’être contaminés, les plateformes ont constaté une évolution des préoccupations des professionnels de santé au fil de la crise. (B. Boissonnet/BSIP)

Mi-avril, Hospimedia lançait un recensement des initiatives nationales et locales de soutien aux professionnels du secteur de la santé en souffrance dans le contexte épidémique lié au Covid-19 (lire notre article). Presque deux mois plus tard, qu’en-t-il de la fréquentation de ces plateformes ? Quel est le profil des appelants ? Les premiers bilans montrent de nombreuses sollicitations, tant pour les structures “installées” de longue date, que pour les initiatives spécifiques à la période.

Une aggravation au fil de la crise

Parmi les acteurs du soutien installés, l’Association Soins aux professionnels en santé (SPS) — en partenariat avec divers acteurs — poursuit son activité. Elle a livré depuis le début de la crise sanitaire des bilans réguliers, dont un détaillé ce 3 juin. À cette date, 3 244 appels ont été traités depuis le 23 mars, soit une moyenne de plus de 60 appels par jour, pour une durée moyenne de 24 minutes. Cette durée, souligne l’association, était alors en augmentation continue depuis le début de la crise. La cinquième semaine d’activité, du 20 au 26 avril, a de plus été fortement marquée par l’expression d’une aggravation de la souffrance des appelants. À noter : plus d’un tiers des appels ont eu lieu le soir et le dimanche.

Près d’un tiers des professionnels (31%) contactent la plateforme depuis la région Île-de-France. Viennent ensuite les régions Auvergne-Rhône-Alpes (12%) puis Grand-Est (10%). Quels profils pour ces appelants ? 71% sont des femmes. Professions majoritairement féminines, les infirmiers et aides-soignants sont les plus représentés, soit 35% des appels. L’âge moyen est de 44 ans et 84% sont salariés. 10% d’entre eux exercent dans le secteur médico-social. Quant aux motifs de ces appels, dans 35% des cas, les professionnels font part de leur anxiété ou de leur angoisse face à l’épidémie de Covid-19. 12% ont des problèmes d’organisation du travail, et 13% se trouvent dans une situation d’épuisement professionnel.

Un “bilan positif » pour la cellule nationale d’écoute
Le 6 avril, le ministre des Solidarité et de la Santé, Olivier Véran, annonçait la mise en place d’une cellule nationale d’écoute à destination de tous les professionnels de santé, qu’ils soient personnel médical, soignant, administratif ou technique, du secteur hospitalier et médico-social, ou professionnel libéral, interne ou étudiant en santé. En date du 27 mai, la Direction générale de l’offre de soins (DGOS), a livré à Hospimedia un premier bilan “positif » de l’activité de cette plateforme. Durant la phase la plus aiguë de la crise, cette cellule téléphonique — ouverte 7 j/7 de 8 heures à minuit et animée par des psychologues bénévoles — a ainsi pu accueillir environ 350 professionnels et, au besoin, les orienter en proximité vers une cellule d’urgence médico-psychologique (CUMP). “Cette mise en relation progressive et nécessaire des professionnels avec des structures situées près de chez eux a amené le ministère à mettre fin à l’activité de la cellule nationale le 24 mai », indique la DGOS. Sur le plus long terme, le suivi adapté des professionnels qui en ressentent encore le besoin se fera donc localement, au plus près de chez eux, poursuit-elle.

Un sentiment d’insécurité
L’ADMR a elle aussi disposé d’un renforcement de son dispositif mis en place depuis 2016. La plateforme Pro-Consult a ainsi augmenté son effectif de psychologues pour prendre en charge à distance les salariés de l’aide à domicile qui en avaient besoin. Une anticipation pertinente puisque le nombre d’appels a augmenté de 165% au mois d’avril, avec un total de 248. “Ce qui ressort de ces appels, c’est le sentiment d’insécurité, relate à Hospimedia Laurence Jacquon, directrice adjointe de l’Union nationale ADMR. Puis les préoccupations ont évolué avec la crise : aujourd’hui les salariés craignent d’attraper la maladie ou de contaminer les bénéficiaires. » Les appelants provenaient en majorité du secteur de la personne âgée et se sentaient notamment démunis face aux problèmes de matériel. Les problèmes d’organisation du travail, d’épuisement et d’anxiété liée au Covid-19 ou au confinement font partie des motifs d’appels les plus récurrents.

L’organisation et la charge de travail en cause

D’autres plateformes ciblent des publics spécifiques. En place depuis plusieurs années également, l’Observatoire de la souffrance au travail (Osat) pilotée par l’intersyndicale Action praticiens hôpital (APH), a adapté son fonctionnement à la crise. Pour rappel, l’Osat propose aux praticiens hospitaliers une déclaration en ligne, avec une prise de contact téléphonique par la suite si nécessaire. Sur 15 déclarations enregistrées sur la période du 27 mars au 28 mai, neuf sont en lien avec le Covid-19. L’Osat note une baisse des déclarations en dehors de cette problématique, soit six en deux mois. Parmi les spécialités représentées, l’anesthésie-réanimation, les soins palliatifs, la chirurgie-orthopédique ou encore la pédiatrie. Quelles sont les causes de cette souffrance pour les praticiens ? Tous évoquent un bouleversement de l’organisation de travail (100%) et une grande majorité une surcharge émotionnelle (89%). Sont aussi relevées une insuffisance notoire de moyens matériels pour exercer son métier (67%) et une insuffisance de moyens matériels de protection individuelles (67%). Les conséquences sont multiples. Elles se traduisent dans 89% des cas par des troubles du sommeil, mais aussi des troubles psychiques ou état de stress post-traumatique (56%) voire des troubles anxio-dépressifs (56%).

La plateforme lancée le 27 mars par le Centre national de gestion (CNG, lire notre article) est pour sa part destinée spécifiquement aux directeurs. Le numéro vert était prévu dans son programme de travail, la crise sanitaire en a accéléré la mise en place compte tenu du contexte. Ce numéro restera d’ailleurs ouvert après la crise, indique le CNG à Hospimedia. Depuis le lancement du dispositif, les problématiques qui reviennent sont : les conditions de travail ou le télétravail, la charge de travail, l’insécurité liée à l’avenir, le climat de travail et enfin les relations avec la hiérarchie. Au total, 32 appelants ont sollicité le CNG, soit une quarantaine d’entretiens. “La plupart des appels ont été enregistrés en avril pouvant ainsi être corrélés avec le plus fort de la crise », décrit à son tour le CNG. 16% des contacts se sont enfin faits par tchat et mail.

En Île-de-France et en Gironde, des réponses différentes selon les besoins

En complément des dispositifs locaux déjà existants, la hotline Covid-19 de l’Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) se voulait anonyme et permanente avec une quinzaine de professionnels pour une écoute 24h/24. Le Pr Michel Lejoyeux, chef du service de psychiatrie et d’addictologie de l’hôpital Bichat, a comptabilisé le nombre conséquent de 300 appels depuis le 18 mars. Étonnamment, beaucoup de ces appels n’émanaient pas de professionnels en première ligne contre le Covid-19 mais du personnel administratif souligne le responsable de la hotline. 44 services hospitaliers différents sont ainsi concernés. “Nous avons eu au départ une demande très forte d’information. Puis les appels ont diminué en quantité et monté en gravité avec le temps. Ils concernaient des gens qui avaient souvent subi d’autres traumatismes dans leur vie. »

À Bordeaux (Gironde), le Dr Charles-Henry Martin fait lui aussi le constat que les professionnels de santé qui ne connaissaient pas de troubles psychologiques avant la crise ont été modérément exposés à ces problèmes, d’autant que la région a été relativement moins impactée que d’autres par le virus. “La problématique est surtout apparue en début de crise, avec de l’anxiété liée aux protocoles variables selon les sites et aux informations contradictoires », détaille le responsable de la cellule d’urgence médico-psychologique (CUMP) Aquitaine. Si la population générale s’est saisie des plateformes téléphoniques et représente 65% des 900 appels comptabilisés au CH Charles-Perrens, peu de professionnels hospitaliers ont franchi le pas. L’équipe renforcée du CUMP est alors allée à leur contact dans les services de première et deuxième ligne. “Les entretiens individuels et en groupe ont très bien fonctionné. On a remarqué leur besoin de s’exprimer après la tension liée à la réorganisation de l’offre de soins et des protocoles dans l’attente de la deuxième vague. » Du 23 mars au 24 mai, la CUMP a ainsi recensé 1 405 actes en soutien aux professionnels de santé, dont 3% sont des appels téléphoniques. Cette mission devrait se poursuivre jusqu’à la fin du mois de juin.


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