Publié le 29/06/22 par Lydie Watremetz
Donner plus de pouvoir décisionnel aux équipes est un levier managérial primordial. Une étude portée par l’Institut du management de l’EHESP décortique le concept de façonnage de l’emploi ou job crafting au sein des établissements médico-sociaux.
Ces dernières années de nombreuses études ont porté sur les dilemmes éthiques et aussi les tensions en matière de ressources humaines en Ehpad. La crise sanitaire a tout particulièrement mis en exergue ces problématiques.
Christelle Routelous, professeure à l’Institut du management de l’École des hautes études en santé publique (EHESP), avec Anne Lise Le Hesran, ingénieur d’étude, et Myra Sader, ingénieur de recherche, intervenant également à l’EHESP, ont choisi d’aborder ces questionnements à travers le concept de façonnage de l’emploi ou job crafting. Celui-ci renvoie à la conception et à la personnalisation de l’activité professionnelle, de façon proactive et auto-initiée.
Faire du façonnage
Les résultats de leur étude ont été présentés le 17 juin en amont de la publication de leur article scientifique dans la revue internationale de psychosociologie et de gestion des comportements organisationnels (Ripco) fin 2022. Au total, sur les 80 communications présentées ce jour-là, 60 ont été retenues et celle sur le job crafting a été distinguée par le premier prix. En marge de cette journée, Christelle Routelous, interrogée par Hospimedia, souligne que l’angle choisi pour cette étude reste rare dans la recherche française.
” Moi personnellement, j’ai désobéi parce que je ne pouvais pas obéir à certaines injonctions […]. Parfois ici les gens se sont rencontrés de manière illégale en dehors des protocoles mais au moins on est resté humain et on avait la conscience tranquille quant on rentrait chez nous le soir.” Témoignage d’une infirmière lors des entretiens
Au départ des réflexions se trouve aussi un constat : avant la crise de 2020, les conditions de travail des établissements médico-sociaux étaient déjà dégradées. Pour autant, dans le contexte du Covid-19, les soignants des Ehpad ont assuré la continuité des soins coûte que coûte. Les auteurs de cette étude ont donc cherché à comprendre au-delà du dévouement des professionnels comment expliquer ce phénomène. Autre constat, la crise Covid-19 a engendré de nouvelles tensions qui ont donc aggravé celles déjà présentes en termes, par exemple, de charge de travail ou de ratios d’encadrement, insuffisants pour assurer une prise en charge qualitative des résidents. Pour faire face, Christelle Routelous explique que “les soignants ont à la fois travaillé sur la représentation de leur rôle et aussi sur les ressources trouvées dans leur environnement et celles qu’ils ont produit eux-mêmes. Cela correspond au façonnage du rôle et au façonnage des ressources”.
Au quotidien, les soignants essaient de faire du façonnage mais n’ont pas les mêmes moyens que ceux qu’ils ont trouvés durant la crise, reconnaît-elle. Selon les soignants, les directions lors des premières vagues du Covid-19 ont été très présentes dans les services pour informer, rassurer, apporter leur soutien, rapporte Christelle Routelous. Parfois même, certains chefs d’établissement ont aidé à la distribution des repas ce qui n’est pas habituel. L’enseignante chercheuse analyse ce positionnement comme un recentrage des directions sur l’activité des soignants. À cela, elle ajoute “le soutien social très fort de la population qui n’a pas hésité à faire des dons de matériel, saluant le travail des soignants”. Ces attitudes ont, selon elle, galvanisé les équipes dans la crise.
Du sens au quotidien
Christelle Routelous retient aussi que pour pallier les absences de personnels infectés par le Covid-19, une autonomie dans l’organisation du travail a été alors donnée aux soignants. Pour elle, “cette crise doit être l’occasion d’un apprentissage collectif sur la capacité des équipes à maintenir de la qualité si on leur permet d’être autonomes. Cela envoie aussi un signal aux pouvoirs publics quant à la nécessité de laisser du temps aux managers pour l’organisation du travail”. Elle regrette en effet que l’encadrement, même intermédiaire, soit généralement happé par d’autres projets, de modernisation par exemple. Et finalement, Christelle Routelous considère que l’attention portée aux conditions de travail par les responsables du management est plutôt résiduelle. “Il faut [soulager] les managers pour les remettre au plus près des équipes afin qu’ils aident les soignants à s’impliquer au quotidien de façon plus autonome.” Dans l’environnement actuel de perte d’attractivité des métiers du grand âge, elle pense que “les professionnels ont besoin de se sentir acteurs de leur travail pour retrouver du sens. La théorie du job crafting permet de comprendre cette dynamique entre le besoin de soutien et la capacité à faire face et c’est aussi parce que les équipes auront le soutien de leur encadrement et de leurs pairs qu’elles innoveront”.
D’abord des ressources
Pour autant, la démarche de job crafting est intimement liée aux ressources. La sortie de crise s’accompagne par exemple depuis plusieurs mois de tensions avec les familles. Les directions et l’encadrement ont retrouvé leurs tâches quotidiennes et ont parfois moins communiqué que pendant les premières vagues de Covid-19. “L’actualité nous montre qu’il existe bien un lien entre le soutien et les ressources dont disposent les équipes et la capacité qu’elles ont à façonner”, souligne Christelle Routelous. Une future étude est d’ores et déjà en cours pour analyser les liens entre la capacité à tenir et la volonté de rester dans le métier.
Méthodologie d’enquête
L’étude sur le job crafting a été réalisée dans le cadre d’une convention avec l’EHESP avec un financement des ARS Bretagne et Pays de la Loire. Pour analyser les méthodes de management des équipes et leur organisation pendant la crise sanitaire, plus de 80 entretiens individuels ont été réalisés entre 2020 et 2021.